L'approche d'architecture d'affaires - une composante importante de la planification stratégique moderne
Par Bernard Gagnon et Pierre Hadaya
Octobre 2019
Sommaire
La plupart des organisations n’ont pas encore intégré l’approche d’architecture d’affaires (AAA) dans leur méthode de planification stratégique. Dans la plupart des cas, cela est dû à un manque de connaissance de cette nouvelle approche. Le but de cet article est de combler cette lacune et de démontrer qu’elle est un élément important de la planification stratégique moderne. Pour ce faire, nous démontrons que les buts principaux de l’AAA sont identiques à certains de ceux de la planification stratégique et que l’AAA aide à mieux atteindre ces buts et, finalement, nous dissipons deux fausses idées concernant l’AAA.
Il y a quelques mois, nous avons publié un article intitulé « L’utilisation de l’approche d’architecture d’affaires permet-elle aux organisations d’améliorer leur performance ? » (Gagnon et Hadaya, 2019a). Nous y décrivons l’approche d’architecture d’affaires (AAA) comme « une nouvelle approche de planification stratégique permettant de définir les objectifs de transformation organisationnelle à long terme et de formuler un plan d’action pour les atteindre ». Bien que le cabinet mondial de recherche et conseil Gartner ait également décrit l’AAA de manière similaire (Allegra, 2017), la plupart des organisations ne l’ont pas encore intégré dans leur méthode de planification stratégique, et ce malgré ses avantages. Dans la plupart des cas, cela est dû à un manque de connaissances de l’AAA. Le but de cet article est de combler cette lacune et de démontrer que cette nouvelle approche est un élément important de la planification stratégique moderne. Pour ce faire, nous démontrons que les buts principaux de l’AAA sont identiques à certains de ceux de la planification stratégique et que l’AAA aide à mieux atteindre ces buts ainsi que certains autres de la planification stratégique. De plus, nous dissipons deux fausses idées qui freinent les progrès que l’AAA réalise pour prendre sa place au sein de la planification stratégique moderne.
La stratégie et son lien avec le fonctionnement d’une organisation
Afin de jeter les bases de l’argumentation présentée dans cet article, examinons d’abord ce qu’est une stratégie et son lien avec le fonctionnement d’une organisation. Une stratégie n’est pas un produit, un ensemble d’objectifs ou un plan d’action. Une stratégie est le modèle de comportement — c.-à-d. la façon récurrente d’agir — qu’une organisation adopte envers ses parties prenantes, ou une situation, afin d’atteindre certains buts ultimes (p. ex., gagner une guerre, augmenter ses revenus et sa rentabilité, gagner un match de soccer). Dans le monde des affaires, une stratégie est donc le modèle de comportement qu’une organisation adopte pour créer de la valeur pour ses propriétaires, ses clients, ses partenaires et ses employés, et, de préférence, pour se différencier positivement de ses concurrentes. Le cœur de ce modèle de comportement est la proposition de valeur client qui définit à l’aide de huit caractéristiques clés (p. ex., types de produits, prix, qualité) le comportement qu’une organisation entend avoir envers ses clients (Kaplan et Norton, 2004).
Étant donné que le fonctionnement d’une organisation détermine son comportement, ce fonctionnement doit être conçu spécifiquement pour la stratégie de l’organisation. En d’autres termes, les activités d’une organisation et la façon dont elle les conduit doivent être choisies et conçues de manière à ce que l’organisation se comporte conformément à sa stratégie (Porter, 1996). Par exemple, dans le cadre de sa stratégie, un constructeur automobile peut décider d’offrir des voitures plus fiables, mais légèrement plus dispendieuses, que celles de ses concurrents. Pour ce faire, elle doit mener des activités de conception, d’essai, de fabrication, d’assurance qualité, d’amélioration continues et de vente, et les réaliser avec toute la rigueur requise pour obtenir des voitures plus fiables, mais seulement un peu plus dispendieuses que celles de ses concurrents.
Lorsque les organisations formulent une nouvelle stratégie, la grande majorité d’entre elles en choisissent une qui utilise une partie importante de leur fonctionnement actuel. Cela leur permet de se comporter en accord partiel avec leur nouvelle stratégie dès son adoption. Pour se comporter en plus grand accord, elles doivent réaliser des initiatives de transformation. En d’autres termes, elles doivent apporter des changements afin d’être en mesure d’exécuter de nouvelles activités, de mener des activités existantes différemment ou d’arrêter d’en exécuter d’anciennes.
Les principaux objectifs de la planification stratégique
Voyons maintenant ce qu’est la planification stratégique. Il y a presque autant de définitions que de personnes qui ont écrit à son sujet. Cependant, un certain nombre d’idées apparaissent couramment dans ces définitions. Celles-ci sont que la planification stratégique est un processus dont les buts sont de :
A) Formuler la stratégie
La formulation d’une stratégie implique : (i) d’énoncer clairement les buts ultimes à atteindre ; (ii) d’analyser l’environnement interne et externe de l’organisation afin de déterminer ses forces, ses faiblesses, ses opportunités et ses menaces ; (iii) de définir des alternatives stratégiques ; (iv) d’analyser leur acceptabilité, faisabilité et pertinence respective ; et (v) de choisir l’alternative la plus propice à la réalisation des objectifs ultimes.
B) Créer une cascade d’objectifs découlant de cette stratégie
Cette cascade est constituée de couches interconnectées d’objectifs. Les couches supérieures sont composées d’objectifs directement liés à la stratégie. Elles sont liées au comportement que l’organisation veut avoir envers ses propriétaires, ses clients, ses employés et ses partenaires. L’augmentation des revenus, l’amélioration de l’expérience client, l’amélioration de la qualité des produits et l’engagement accru des employés sont des exemples de tels objectifs. Les couches inférieures, quant à elles, sont composées d’objectifs de transformation et d’opération. Bon nombre d’entre eux sont liés à des transformations qui sont requises pour que l’organisation se comporte pleinement selon sa stratégie. La réalisation des objectifs des couches inférieures est une condition préalable à la réalisation de ceux des couches supérieures. Les objectifs liés à la transformation des processus, des systèmes d’information et des moyens de production sont des exemples de ceux inclus dans les couches inférieures. Le tableau de bord équilibré de Kaplan et Norton (Kaplan et Norton, 2000) et la carte stratégique axée sur les capabilités (Hadaya et Gagnon, 2017) sont des exemples de telles cascades d’objectifs.
C) Élaborer un plan d’action pour la réalisation de ces objectifs
La réalisation des objectifs de la cascade exige la mise en œuvre d’initiatives de transformation, de recherche et développement (R&D), de marketing et autres. L’élaboration du plan d’action a pour but d’identifier ces initiatives et de définir l’ordre dans lequel elles devront être exécutées afin de réaliser les objectifs de la cascade de façon efficace et efficiente.
Comparaison des buts de l’AAA et de la planification stratégique
Les objectifs principaux de l’AAA correspondent à un sous-ensemble des buts B et C énoncées ci-dessus de la planification stratégique. Le premier but de l’AAA est de définir les objectifs de transformation. Celui-ci correspond à une partie importante du but B de la planification stratégique. Pour l’atteindre, l’AAA identifie les transformations nécessaires à l’alignement du fonctionnement de l’organisation à sa stratégie, documente les résultats dans un plan portant le nom d’architecture d’affaires cible — parfois appelé modèle opérationnel cible — et enfin en tire les objectifs de transformation. Le deuxième but de l’AAA est de créer un plan d’action pour la réalisation des objectifs de transformation. Ce plan de transformation définit les initiatives — projets et programmes — à entreprendre au cours des prochaines années pour rendre l’organisation conforme à son architecture d’affaires cible. Il détermine également leur portée respective (c.-à-d., les parties de l’architecture d’affaires cible que chacune devra mettre en œuvre) et l’ordre dans lequel elles devront être réalisées. Lorsqu’il est correctement élaboré, le plan de transformation définit la voie la plus efficace et efficiente pour aligner le fonctionnement de l’organisation à sa stratégie. Le deuxième but de l’AAA correspond donc à un sous-ensemble du but C de la planification stratégique.
AAA: Une meilleure approche
Comme décrit ci-dessus, les buts principaux de l’AAA correspondent à un sous-ensemble de ceux de la planification stratégique, mais la manière dont l’AAA les atteint est supérieure. En effet, la méthode conventionnelle de planification stratégique a des limites qui peuvent être surmontées avec l’aide de l’AAA. Cette méthode conventionnelle ne peut que fixer des objectifs de transformation généraux et décrire sommairement la portée des initiatives associées. Elle est également très limitée dans sa capacité à identifier les ressources qui devront être transformées et à déterminer la manière dont ces ressources devront être intégrées les unes aux autres pour que les activités de l’organisation puissent être menées conformément à sa stratégie. En conséquence, les objectifs et la portée des initiatives identifiées sont souvent mal interprétés et les parties prenantes, n’ayant aucune directive sur la manière dont les ressources qu’elles transforment devraient être intégrées les unes aux autres, font des transformations en mode silo. Les transformations ne sont donc pas effectuées comme elles le devraient. En outre, des efforts sont gaspillés sur des transformations de peu d’intérêt, une complexité inutile est créée, d’importantes synergies sont perdues et l’alignement à la stratégie est retardé, voire même jamais atteint.
En raison de sa rigueur et de sa granularité plus élevée, l’AAA surmonte les limitations susmentionnées de la méthode conventionnelle de planification stratégique. L’AAA identifie les transformations à apporter en les décrivant dans l’architecture d’affaires cible — l’état cible du fonctionnement de l’organisation. Ce plan identifie les ressources — capabilités, processus, fonctions, unités organisationnelles, informations, connaissances, marques de commerce, actifs technologiques (usines de fabrication, systèmes d’information, etc.) et dépôts de ressources naturelles — dont l’organisation aura besoin. Elle identifie également les caractéristiques clés que ces ressources devront avoir et comment elles devront être intégrées les unes aux autres (par exemple, le processus A doit être modifié pour tirer parti des nouvelles informations saisies par le nouveau processus B). L’architecture d’affaires cible ne décrit pas en détail les transformations à apporter dans le détail — cela se fait lors de leur réalisation — mais justes assez pour fournir des directions claires à ceux qui les réaliseront. La conception de l’architecture d’affaires cible est l’occasion idéale de recueillir les idées de transformation émanant des membres de l’ensemble de l’organisation, de les trier, de les intégrer entre elles pour créer des synergies et de ne conserver que celles qui augmenteront réellement l’habilité de l’organisation à se comporter selon sa stratégie. L’AAA est donc mieux armée pour définir des objectifs de transformation clairs et l’ensemble des transformations associées. Ceci constitue un sous-ensemble important du but B de la planification stratégique.
L’AAA est également supérieure dans la manière dont elle crée le plan de transformation (un élément important du but C de la planification stratégique). En effet, la plus grande richesse d’informations contenue dans l’architecture d’affaires cible permet à l’AAA de mieux déterminer les initiatives de transformation à mener, de mieux définir leur portée respective et de séquencer leur exécution de façon à générer des synergies importantes. Parce que des personnes de l’ensemble de l’organisation participent à la conception de l’architecture d’affaires cible et du plan de transformation, l’AAA est également plus performante du point de vue de la gestion du changement, et ce, en particulier pour les transformations qui affectent de nombreux secteurs de l’organisation. En effet, les gens sont beaucoup plus susceptibles d’adhérer aux transformations qu’ils ont contribué à concevoir qu’à ceux qui leur sont imposées.
L’AAA peut également contribuer à la réalisation du premier but de la planification stratégique. En effet, elle peut aider de deux façons à la formulation d’une stratégie. Premièrement, elle peut contribuer à l’analyse de l’environnement interne de l’organisation en fournissant une carte complète et rigoureusement construite des capabilités de l’organisation ainsi qu’une analyse de leurs forces et faiblesses. Deuxièmement, elle peut aider à analyser la faisabilité des alternatives stratégiques considérées en identifiant les transformations les plus importantes que chacune d’elles implique et en estimant le temps, les efforts et les coûts pour les réaliser. Avoir une meilleure compréhension des transformations requises par chacune de ces alternatives réduit le risque de choisir une stratégie trop ambitieuse — comme trop d’organisations l’ont fait par le passé. À titre d’exemple, l’équipe d’architecture d’affaires dirigée par Éric Thompson chez Desjardins Assurances Générales (filiale d’une importante banque canadienne) réalise de telles analyses.
Dissiper d’importantes fausses idées
Passons maintenant à deux fausses idées qui ralentissent l’intégration de l’AAA dans les activités de planification stratégique des organisations. La première est que l’AAA et la planification stratégique sont mutuellement incompatibles parce que l’une est analytique alors que l’autre est créative. La réalité est qu’elles doivent toutes les deux être créatives et analytiques. En effet, formuler une stratégie gagnante exige beaucoup de créativité, mais celle-ci doit être nourrie et gardée sous contrôle par des analyses — notamment celle des forces, des faiblesses, des opportunités et des menaces de l’organisation, ainsi que celle de l’acceptabilité, de la faisabilité et de la pertinence de chacune des alternatives stratégiques considérées. Pour sa part, l’AAA implique aussi des analyses, dont celle des coûts, des avantages et des risques des changements considérés. Par contre, il faut également beaucoup de créativité pour imaginer comment le fonctionnement de l’organisation pourrait être transformé afin d’être pleinement aligné avec la stratégie. En fait, les équipes hautement performantes d’architecture d’affaires ne se limitent pas dans leurs recommandations à des idées et pratiques développées par d’autres organisations, elles sont innovantes.
La deuxième fausse idée est que le temps typiquement alloué aux exercices de planification stratégique ne peut pas accommoder le niveau d’efforts requis par l’AAA. L’une des raisons pour laquelle cette incompatibilité n’est pas réelle est que l’architecture d’affaires cible et le plan de transformation ne sont pas créés en un seul exercice visant à tout définir d’un seul coup. Au lieu de cela, leur conception est étalée sur une série d’étapes aboutissant chacune en une version de plus en plus étoffée de l’architecture d’affaires cible et du plan de transformation. Leur version initiale est restreinte à une vue d’ensemble limitée en information et est concevable dans le temps typiquement alloué aux exercices de planification stratégique. Cette version initiale est développée à l’aide d’un sous-ensemble de l’AAA qui se limite à déterminer l’ensemble des capabilités auxquelles l’organisation devra apporter des transformations et les caractéristiques clés qu’elles devront avoir, ainsi qu’à estimer grossièrement les investissements et le temps qui seront requis pour effectuer ces transformations. Cette version initiale peut et devrait être créée pour chacune des alternatives stratégiques sérieusement envisagées afin de vérifier, comme décrit ci-dessus, leur faisabilité respective. Une fois qu’un choix final est arrêté sur l’une des alternatives stratégiques, les versions initiales de l’architecture cible et du plan de transformation peuvent alors être utilisées pour lancer un premier groupe d’initiatives de transformation. Dès lors, l’architecture d’affaires cible et le plan de transformation sont progressivement étoffés — une partie de l’organisation à la fois — et affinés au moyen d’une série de versions additionnelles, et ce, en commençant par les parties de l’organisation dont le fonctionnement doit être aligné le plus rapidement sur la stratégie. Ce faisant, ces nouvelles versions orientent de mieux en mieux les initiatives de transformation en cours et à venir.
Une autre raison pour laquelle le niveau d’effort requis par l’AAA n’est pas incompatible avec la planification stratégique est qu’il est désormais recommandé de la faire en mode continu. Autrement dit, il est maintenant considéré préférable que les organisations ajustent leur plan stratégique régulièrement — au moins une fois par an — au lieu de le reconstruire entièrement une fois tous les trois à cinq ans. Cela permet aux organisations de prendre rapidement en compte les nouvelles idées, les leçons apprises, les nouvelles technologies et les évolutions des marchés dans leur plan stratégique et de régulièrement mettre à jour les hypothèses sur lesquelles ce dernier repose. Ce faisant, les organisations accroissent leur agilité stratégique (Gagnon & Hadaya, 2019b).
La planification stratégique en continu cadre très bien avec l’AAA, car elle fournit de fréquentes occasions d’intégrer de nouvelles versions de l’architecture d’affaires cible et du plan de transformation dans le plan stratégique. De plus, les modifications apportées à la stratégie d’une version à l’autre du plan stratégique sont beaucoup moins importantes — comparé à une planification tous les trois à cinq ans. Ce faisant, le travail de mise à jour de l’architecture d’affaires cible et du plan de transformation en est également grandement réduit.
Conclusion
Comme le montre cet article, l’approche d’architecture d’affaires (AAA) est une nouvelle méthode de planification stratégique visant à définir les objectifs de transformation organisationnelle à long terme et à formuler un plan d’action pour leur réalisation. C’est une meilleure approche, car elle permet aux organisations d’aligner leur fonctionnement avec leur stratégie de façon plus efficace, plus rapide et à moindres frais. Les organisations devraient donc intégrer l’AAA à leur processus de planification stratégique. Pour ce faire, ils devraient créer une équipe d’architectes d’affaires composée de professionnels expérimentés, les former en architecture d’affaires et faire en sorte que cette équipe relève du dirigeant responsable de la stratégie (Hadaya et Gagnon, 2017). Cette équipe doit commencer par l’élaboration de l’architecture d’affaires cible et du plan de transformation d’une partie de l’organisation, démontrer du succès et grandir à partir de là. De plus, les organisations devraient passer à la planification stratégique en continu — si elles ne l’ont pas déjà fait — car elle présente des avantages importants et des synergies multiples avec l’AAA.
Références
Allega, P. (2017) Achieve Business-Outcome-Driven Enterprise Architecture, Gartner Webinar
Gagnon, B., and Hadaya, P. (2019a) L’utilisation de l’approche d’architecture d’affaires permet-elle aux organisations d’améliorer leur performance? ASATE Group.
Gagnon, B., and Hadaya, P. (2019b) The four dimensions of Business Agility, ASATE Group.
Hadaya, P., and Gagnon, B. (2017) Business Architecture: The Missing Link in Strategy Formulation, Implementation and Execution. ASATE Group.
Kaplan, R.S., and Norton, D.P. (2000) Having Trouble with Your Strategy? Then Map It. Harvard Business Review, September-October, 51-60.
Kaplan, R.S., and Norton, D.P. (2004) Strategy Maps: Converting Intangible Assets into Tangible Outcomes. Harvard Business Publishing, Boston.
Porter, M.E. (1996) What Is Strategy? Harvard Business Review, November-December, 61-78.
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