Créer des cartes de capabilités d’affaires qui ont de l’impact
Par Bernard Gagnon et Pierre Hadaya
Juillet 2020
Sommaire
Ceci est la première partie d’un article en deux parties. Elle énonce les principales exigences auxquelles les cartes de capabilités d’affaires doivent répondre pour être utiles à de nombreuses fins. Elle définit également des principes à suivre pour créer des cartes qui répondent à ces exigences. La deuxième partie donnera de nombreux exemples de véritables capabilités d’affaires et de ce qui n’en est pas.
Les cartes de capabilités actuelles et cibles sont toutes deux reconnues comme des livrables clés de l’architecture d’affaires, car elles représentent respectivement ce que l’organisation fait aujourd’hui et ce qu’elle devra faire dans le futur. Lorsqu’elles sont correctement construites, ces cartes peuvent grandement faciliter d’importantes activités. Parmi ceux-ci, la première est l’analyse d’une grande partie des forces et faiblesses de l’organisation. La deuxième est l’analyse de la faisabilité de chacune des alternatives envisagées lors de la formulation de la stratégie. En effet, les cartes de capabilités d’affaires aident à identifier et analyser, pour chacune des alternatives considérées, les changements principaux qui devront être apportés à l’organisation pour la mettre en œuvre. La troisième est la conception de l’architecture d’affaires cible complète de l’organisation, qui comprend des perspectives supplémentaires à celle des capabilités, et du plan de transformation associé.
Il n’est pas simple de créer des cartes de capabilités d’affaires qui facilitent vraiment toutes les activités énumérées ci-dessus. En effet, la plupart des cartes que nous avons examinées ont une utilité très limitée, souvent parce qu’il s’agit de cartes conceptuelles des systèmes d’information de l’organisation plutôt que de véritables cartes de capabilités d’affaires. Ces cartes de systèmes d’information peuvent être très utiles, mais elles ne doivent pas être confondues avec des cartes de capabilités d’affaires.
Pour faciliter la création de cartes de capabilités d’affaires qui soient vraiment utiles, nous avons, au fil des ans, identifié un ensemble d’exigences auxquelles elles doivent répondre et en avons dérivé des principes de conception. La partie 1 du présent article passe en revue les exigences les plus importantes que nous avons identifiées et les principes que nous en avons dérivés. La deuxième partie sera publiée ultérieurement. Elle fournira de nombreux exemples de capabilités d’affaires et donnera aussi des exemples de choses qui sont parfois identifiées comme des capabilités d’affaires, mais qui n’en sont pas.
Exigences
Les exigences les plus importantes sont les suivantes :
- Être orientée sur le volet affaires de l’entreprise et non sur son volet technologie.
- Être accepté par une grande majorité des parties prenantes comme une représentation valable de ce que l’organisation fait aujourd’hui ou de ce qu’elle devra faire dans le futur.
- Être facile à comprendre et à utiliser lors de présentations et de discussions avec des cadres, des gestionnaires, des experts, des architectes d’entreprises informatiques et d’autres parties prenantes.
- Faciliter l’optimisation des flux de travail, de matériel et d’informations entre les capabilités afin de maximiser la valeur qu’elles créent collectivement pour les clients, les propriétaires, les partenaires et les employés de l’organisation.
- Faciliter la détermination des ressources à partir desquelles chaque capabilité doit être construite.
- Faciliter l’identification des changements qui doivent être apportés aux ressources qui composent chaque capabilité afin de la transformer tel que spécifié dans la carte de capabilités d’affaires cibles.
Principes
Les principes les plus importants sont les suivants :
Principe 1 : Doit être solidement fondée sur le concept de capabilités d’affaires défini par la littérature en stratégie d’affaires.
Le concept de capabilité d’affaires est issu de la littérature en stratégie d’affaires. La plus ancienne mention de ce terme que nous avons été en mesure de retracé se trouve dans un ouvrage de 1969 intitulé Business Policy par Learned et coll. Le concept a été développé depuis lors, principalement dans la vaste littérature publiée depuis les années 1980 sur la vision de l’entreprise basée sur les ressources (« Resource-Based View of the Firm » en anglais) et sur les capabilités dynamiques. Il n’existe toujours pas de définition pleinement acceptée de capabilité d’affaires. Les auteurs les plus importants de la littérature mentionnée ci-haut (voir la section des références pour les principaux articles et livres) sont parvenus, au fil du temps, à un assez bon accord entre eux sur la nature des capabilités d’affaires. Notre définition du concept est basée sur leurs travaux :
Une capabilité d’affaires est un ensemble de ressources qui, en travaillant ensemble, donnent à l’organisation l’habileté de délibérément produire un extrant d’affaires particulier.
Il découle de cette définition qu’une capabilité d’affaires :
- A pour raison d’être de produire un extrant d’affaires particulier et concret. Les produits, les services, les ventes, les factures, les rapports financiers et le design de nouveaux produits sont des exemples de tels extrants. Comme le montrent ces exemples, les extrants peuvent être destinés à un usage externe ou interne.
- Implique certaines actions comme l’indique le mot « produire ». À cet effet, plusieurs des auteurs mentionnés ci-haut indiquent que toute capabilité d’affaires s’appuie sur un ou plusieurs processus.
- N’existe pas en soi, mais en raison des effets combinés des ressources qui la composent. Les publications des auteurs éminents mentionnés ci-dessus montrent très clairement qu’une capabilité d’affaires n’est pas le résultat d’un simple actif technologique ou de toute autre ressource unique. Une capabilité d’affaires résulte plutôt de la combinaison délibérée de différents types de ressources.
Il est important de distinguer le concept de capabilité d’affaires de celui de capabilité technique. Le premier est une habileté qu’une organisation a, alors que le deuxième est une habilité, ou fonctionnalité, qu’une machine ou un système informatique possède.
Principe 2 : Doit représenter la hiérarchie de capabilités d’affaires de l’organisation.
Les capabilités d’affaires d’une organisation forment une hiérarchie. En effet, une organisation possède généralement entre 10 et 20 capabilités d’affaires de haut niveau. Elles produisent collectivement tous les extrants de l’organisation. Toutefois, chacune de ces capabilités ne produit qu’un sous-ensemble distinct de l’ensemble des extrants de l’organisation. Pour ce faire, elles s’appuient chacune sur des capabilités du niveau inférieur qui leur sont propres, soit leurs sous-capabilités. Chacune de ces sous-capabilités produit un sous-ensemble distinct de l’extrant de sa capabilité mère. Donc, les ressources dont sont faites les capabilités de haut niveau sont des sous-capabilités. Ces sous-capabilités peuvent à leur tour être constituées d’un ou plusieurs niveaux additionnels de sous-capabilités.
Les sous-capabilités situées au bas de cette hiérarchie ne peuvent pas être subdivisées en sous-capabilités de plus bas niveau. Elles sont donc désignées « atomiques ». Dans la grande majorité des cas, les capabilités atomiques d’une entreprise sont distribuées sur plusieurs niveaux de la hiérarchie. Le niveau auquel appartient une capabilité atomique particulière dépend de sa nature et de celle de ses parents jusqu’au haut de la hiérarchie. Nos recherches (Hadaya et Gagnon, 2017) et celles de nombreux autres auteurs nous ont amenés à conclure que les ressources qui composent les capabilités atomiques sont des unités organisationnelles, des processus, des informations, du savoir-faire, des actifs technologiques (par exemple, des systèmes informatiques, des machines, des usines, des véhicules) et parfois des marques de commerce ou des gisements de ressources naturelles (par exemple, des champs de pétrole, des gisements de minerai). Considérez ces types de ressources comme les « personnes-processus-outils » des organisations, mais structurés de façon à permettre le design et la modélisation complète et rigoureuse de l’architecture d’affaires de toute organisation.
Il découle de ce principe que les cartes de capabilités ne doivent pas être de simples reflets de la structure organisationnelle. Les raisons en sont triples. Premièrement, un gestionnaire peut souvent se voir confier des responsabilités de natures très différentes. Par exemple, le département informatique peut être sous la responsabilité du directeur financier. Cela ne fait pas de la capabilité de développement de systèmes informatiques une sous-capabilité de la capabilité de gestion des ressources financières. Deuxièmement, les organisations ont souvent un bon nombre de capabilités qui ne sont pas révélées par un simple examen de leur structure organisationnelle. Par exemple, il est très rare de trouver une unité organisationnelle dont le nom inclut « contrôle des stocks ». Cependant, une telle capabilité existe dans beaucoup d’organisations. Troisièmement, il arrive souvent qu’une capabilité s’appuie sur plusieurs unités organisationnelles. Par exemple, la capabilité de conception de produits fait souvent appel aux unités organisationnelles d’ingénierie, de fabrication et de markéting.
Principe 3 : Doit éviter les redondances.
Afin d’éviter la redondance dans une carte, aucune capabilité ne doit avoir la même raison d’être qu’une autre, c’est-à-dire produire le même extrant.
Le respect de ce principe nécessite une certaine réflexion. Par exemple, pour fabriquer des produits, il faut avoir la sous-capabilité de fabriquer certaines de leurs pièces et celle d’en acheter d’autres. Or, la capabilité d’acheter des biens et services est également nécessaire à toutes sortes d’autres fins. Pour éviter toute redondance, cette capabilité doit être présente qu’une seule fois dans la carte. Dans le cas de la capabilité d’achat de biens et services, nous la situons généralement sous une capabilité de premier niveau dédiée à tout ce qui concerne l’approvisionnement et sa gestion.
Principe 4 : Chaque capabilité doit être nommée en utilisant le format « Verbe-Objet »
Le nom d’une capabilité doit indiquer clairement sa raison d’être. Comme indiqué dans le premier principe, cette raison d’être est de produire un extrant particulier. Autrement dit, cette raison d’être est d’effectuer une action quelconque sur un objet — par exemple, Fabriquer les produits, Vendre les produits, Tester des produits. Le nom d’une capabilité doit donc comporter un verbe permettant d’identifier le type dominant d’action concerné. Comme le montrent les trois exemples ci-dessus, changer ce verbe peut complètement transformer la raison d’être d’une capabilité. Le nom d’une capabilité doit également indiquer l’objet sur lequel ces actions sont effectuées — cet objet peut être physique ou non. C’est pourquoi le format verbe-objet est le plus approprié pour nommer les capabilités. Il est préférable que le verbe soit à l’infinitif. Fournir des services, Résoudre des incidents informatiques et Formuler le plan stratégique sont des exemples de capabilités ainsi nommées. L’objectif de chacune de ces capabilités est très clair grâce au format verbe-objet. En outre, cette façon de nommer les capabilités est identique à la façon dont la plupart des gens complètent la phrase « Je suis capable de… » avec des énoncés de format verbe-objet tels « faire du vélo » ou « conduire une voiture ».
Le verbe doit être aussi révélateur que possible de la nature du type dominant d’action concerné. Cela signifie que le verbe « gérer » ne doit être utilisé que pour les capabilités dont la raison d’être est vraiment de gérer quelque chose. En 1917, Henry Fayol a identifié les quatre fonctions de la gestion comme suit : planifier, organiser, diriger et contrôler (PODC). Ceci a résisté à l’épreuve du temps et est enseigné encore aujourd’hui par la plupart des écoles de gestion dans le monde. Ainsi, le nom d’une capabilité ne devrait inclure le verbe « gérer » que lorsque sa raison d’être comprend au moins une des quatre fonctions PODC. Lorsque la raison d’être inclut plus que ces quatre fonctions, son nom devrait alors inclure un second verbe pour refléter l’autre type dominant d’action impliquée. Par exemple, la capabilité qui s’occupe de tout ce qui est lié à la fabrication de produits devrait être nommée quelque chose tel Gérer et faire la fabrication des produits. Cette capabilité peut ensuite être divisée en deux sous-capabilités dont la première est Gérer la fabrication des produits et la seconde est Fabriquer les produits. De cette manière, les capabilités associées restent ensemble, l’objectif de chacune d’elles est clarifié et le parent des deux autres est évident.
Principe 5 : Doit utiliser le langage de l’organisation
Les capabilités doivent être nommées autant que possible en utilisant le langage de l’organisation et sans abstractions inutiles. En effet, les personnes n’ayant pas ou peu de compréhension du concept de capabilités devraient pouvoir comprendre facilement que la carte identifie les choses que l’organisation fait ou doit faire. Elles devraient également comprendre la nature de chacune de ces choses en lisant seulement leur nom. Ainsi, le(s) verbe(s) et l’objet dans le nom de chaque capabilité devraient être, autant que possible, des termes qui sont d’usage courant au sein de l’organisation.
Principe 6 : Doit être valider
La carte doit être validée auprès de nombreuses personnes afin de s’assurer qu’elle répond à toutes les exigences énoncées plus haut.
Conclusion
Cette première partie de l’article présente certains des principes les plus importants qui devraient guider l’élaboration de cartes de capabilités d’affaires. Les cartes qui en résultent sont faciles à comprendre pour tous, y compris par les personnes qui ne connaissent pas bien le concept de capabilité d’affaires. De plus, ces cartes peuvent être facilement utilisées à des fins diverses.
Dans la deuxième partie de cet article, nous donnerons des exemples tirés d’une carte de capabilités d’affaires conçue en utilisant les principes énoncés ci-haut. Nous donnerons également des exemples de choses qui sont parfois identifiées comme des capabilités d’affaires, mais qui n’en sont pas.
Références
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