Les quatre dimensions de l'agilité d'affaires
Par Bernard Gagnon et Pierre Hadaya
Juillet 2019
Résumé
Depuis les années 1990, l’agilité a progressivement pris de plus en plus d’importance dans le succès des organisations. En conséquence, un nombre croissant d’organisations s’efforcent de devenir plus agiles. Cet article sert de base à une série d’articles à venir visant à aider les organisations dans ces efforts. Son but est d’identifier et de clarifier la nature des quatre dimensions de l’agilité d’affaires.
Dans le monde des affaires, l’agilité est définie comme l’habileté d’une organisation à réagir rapidement et efficacement aux changements dans les demandes des marchés (Brown et Bessant, 2001). L’agilité n’est pas quelque chose qu’une organisation a ou n’a pas. En effet, chaque organisation a son degré propre d’agilité. Cependant, la performance et la longévité d’une organisation tendent à augmenter avec le degré d’agilité (Bazigos et al., 2015, Vázquez-Bustelo et al., 2007, Worley et al., 2014). Cela est particulièrement vrai pour les organisations qui sont plus agiles que leurs concurrentes.
Devenir plus agile ne se produit pas par hasard ou en disant simplement aux employés de travailler de façon plus agile. Pour devenir plus agiles, les organisations doivent réaliser des initiatives spécialement conçues à cette fin. Ces initiatives peuvent prendre la forme de projets de transformation interne (p. ex., modifier un processus) ou d’actions conçues pour provoquer des changements dans l’environnement externe de l’organisation (p. ex., faire des pressions pour faire modifier une loi archaïque). Bien que certaines de ces initiatives ne prennent que quelques mois à accomplir, d’autres peuvent être plus importantes et nécessiter des années d’efforts.
Pour assurer la réussite de ces initiatives, les organisations doivent d’abord comprendre la nature des quatre dimensions de l’agilité d’affaires et décider sur lesquelles sont les plus importantes pour leur progression au cours des prochaines années. Deuxièmement, elles doivent comprendre quels sont les facteurs internes et externes qui déterminent leur degré d’agilité dans chacune de ces quatre dimensions. Troisièmement, elles doivent comprendre sur lesquels de ces facteurs elles peuvent agir pour augmenter leur agilité comme elles le souhaitent et quels types d’initiatives sont nécessaires pour le faire. Cette compréhension est particulièrement importante, car des initiatives mal conçues peuvent sembler augmenter l’agilité à court terme, mais créer des obstacles qui la réduiront de façon importante à moyen/long terme.
Le but de cet article est d’identifier et de clarifier la nature des quatre dimensions de l’agilité d’affaires. Il servira de base à une série d’articles à venir visant à aider les organisations à devenir plus agiles.
L’importance de l’agilité
L’agilité est importante pour toutes les organisations et en particulier pour celles qui opèrent sur des marchés en évolution rapide. Il y a trois raisons à cela. Premièrement, plus les organisations sont agiles, plus elles peuvent s’adapter rapidement et efficacement pour priver leurs concurrentes de tout avantage récemment acquis.
Deuxièmement, être plus agile que leurs concurrentes permet aux organisations de se positionner en tête de peloton en réalisant des initiatives stratégiques à un rythme plus rapide que leurs concurrentes. Lorsque combiné à une forte habilité à innover, être plus agile que leurs concurrentes permet aux organisations d’aller au-delà de la simple réponse aux changements dans les demandes des marchés. Cela leur permet de provoquer régulièrement de tels changements dans les marchés et de mettre leurs concurrentes en mode rattrapage.
Troisièmement, en plus d’être un outil utilisé pour contrer les initiatives stratégiques des concurrents ou obtenir un avantage concurrentiel, le fait d’être plus agile que les organisations concurrentes peut, dans certaines circonstances, constituer un avantage concurrentiel en soi. En effet, il peut permettre aux organisations de répondre aux demandes des marchés sans avoir à terminer de longs projets de transformation ou de R et D en premier. Par exemple, un fabricant de trains de banlieue doté d’une plateforme de trains éprouvée, d’une habilité à rapidement adapter cette plateforme et d’une usine d’assemblage flexible peut livrer des trains personnalisés selon les exigences de ses clients en moins de temps et à moindre prix.
L’importance d’être très agile est renforcée par le nombre croissant d’organisations qui travaillent activement à le devenir. Cet intérêt croissant a créé une course à l’agilité dans laquelle les retardataires pourraient très bien payer un prix amer.
Les organisations qui manquent d’agilité peuvent facilement se mettre dans des situations défavorables. Voici quelques exemples : (1) leur incapacité à maintenir leurs produits et services en adéquation avec les demandes des marchés risque de leur faire perdre progressivement des parts de marché; (2) leur incapacité à augmenter rapidement la production peut forcer leurs clients à migrer vers d’autres fournisseurs; (3) leur incapacité à réduire rapidement leurs coûts pendant les périodes difficiles peut entraîner des difficultés financières. Un manque d’agilité peut même être fatal. En effet, la situation des organisations trop peu agiles peut devenir intenable au point où elles deviennent contraintes à se faire acquérir, à réduire significativement leur taille ou à faire faillite. L’histoire est remplie d’entreprises autrefois prospères qui ont disparu parce qu’elles n’ont pas su reconnaître et répondre rapidement et efficacement aux changements dans les demandes des marchés. Qui plus est, la mondialisation et le rythme toujours croissant de l’innovation accélèrent continuellement le rythme des changements dans les demandes des marchés. Par conséquent, les organisations qui manquent d’agilité ne peuvent pas suivre et sont éliminées à un rythme de plus en plus rapide. Le fait que l’espérance de vie des entreprises du Fortune 500 soit passée de 75 à 15 ans au cours des 50 dernières années (Denning, 2011) est particulièrement révélateur à cet égard.
L’agilité durable
Comme discuté ci-dessus, les organisations doivent être plus agiles que leurs concurrentes pour survivre et prospérer dans les marchés d’aujourd’hui. Cependant, pour que leur agilité soit durable, les organisations doivent choisir avec soin les initiatives qu’elles entreprennent pour accroître leur degré d’agilité. En effet, certaines initiatives peuvent aider à répondre rapidement aux demandes actuelles des marchés, mais créer des obstacles qui seront par la suite difficiles à éliminer et qui réduiront l’agilité de l’organisation à moyen/long terme. Par exemple, pour accélérer la prise de décisions, certaines organisations ont éliminé les activités de planification et de contrôle mises en place par le passé pour assurer la viabilité à long terme de leurs décisions. Sans ce garde-fou, ces organisations ont rapidement glissé vers une gestion qui ne considère que les effets à court terme de leurs décisions. Dans un tel contexte, les gestionnaires comprennent rapidement que pour être promus, ils doivent démontrer leur habileté à livrer rapidement et, par conséquent, prennent des décisions à courte vue qui créent des obstacles qui pourront, plus tard, limiter fortement l’agilité de leur organisation. Les effets négatifs de ces décisions sont plus importants lorsqu’elles concernent des actifs coûteux tels que des systèmes d’information ou des équipements de production. Choisir le moyen le plus économique et le plus rapide d’apporter des modifications à ces actifs peut très facilement rendre tout changement ultérieur beaucoup plus long et plus coûteux à accomplir. En fait, nous avons rencontré de nombreuses situations où des changements qui auraient dû être relativement simples à réaliser étaient devenus si importants et coûteux qu’ils n’étaient plus viables.
Les quatre dimensions de l’agilité d’affaires
Le degré d’agilité d’une organisation peut varier dans les quatre dimensions suivantes (par ordre alphabétique) : opérationnelle, recherche et développement, transformationnelle et stratégique.
L’agilité opérationnelle
L’agilité opérationnelle est l’habileté d’augmenter ou de réduire rapidement le débit des opérations ou de passer de la fabrication d’un ensemble de produits et services à un autre sans pénalité significative de temps, de coût, de qualité et/ou de fonctionnalités.
Exemples :
- L’habileté d’une ville à faire des ajustements rapides à la taille de sa main-d’œuvre pour faire face aux variations saisonnières dans la demande de ses services.
- L’habileté d’une chaîne de production à fabriquer de multiples modèles d’appareils électroménagers et de passer rapidement de la production d’un modèle à un autre, et ce, sans dégradation significative de la qualité ni augmentation des coûts.
- L’habileté de fabriquer de nouveaux produits sans avoir à apporter des modifications à l’usine ou à ses équipements.
L’agilité en recherche et développement
L’agilité en recherche et développement (R et D) est l’habilité à développer et à commercialiser rapidement de nouveaux produits et services adaptés aux dernières tendances des marchés en matière de prix, de qualité et de fonctionnalités. Cela inclut l’habileté de rapidement modifier le portefeuille de projets de R et D et de réaffecter les ressources lorsque les événements internes et externes l’exigent.
Exemples :
- L’habileté d’un constructeur à tirer parti de sa plateforme éprouvée de tramway pour concevoir rapidement un nouveau modèle répondant aux exigences spécifiques d’une ville.
- L’habileté d’une organisation à rapidement transférer ses efforts de R et D d’un produit à un autre utilisant de nouvelles technologies afin de mieux répondre aux demandes des marchés.
- L’habileté d’un éditeur de logiciels à ajouter à ses produits un petit nombre de nouvelles fonctionnalités tous les six mois plutôt qu’un grand nombre tous les trois ans.
L’agilité transformationnelle
L’agilité transformationnelle est l’habilité à apporter rapidement et efficacement des changements durables au fonctionnement et aux actifs de l’organisation et à causer des changements dans l’environnement externe de l’organisation. Cela inclut la possibilité de modifier rapidement le portefeuille d’initiatives de transformation en réponse à des événements internes et externes et de réaffecter des ressources selon les besoins.
Exemples :
- L’habileté d’une organisation à tirer parti de l’approche d’architecture d’affaires et de la gestion du changement pour accélérer la transformation de sa culture, de sa structure organisationnelle et de ses processus.
- L’habileté d’une entreprise à utiliser ses compétences en fusion et acquisition pour intégrer rapidement une entreprise nouvellement acquise.
- L’habileté d’une organisation à travailler étroitement avec ses fournisseurs pour améliorer rapidement la qualité des produits qu’elle leur achète.
L’agilité stratégique
L’agilité stratégique est l’habilité à apporter rapidement et efficacement des changements à la stratégie et au plan stratégique de l’organisation lorsque les événements internes et externes le demandent.
Exemples :
- L’habileté d’une entreprise de prêts hypothécaires à identifier un ralentissement à venir dans le marché résidentiel et à changer rapidement son orientation stratégique vers le marché commercial.
- L’habileté d’un fabricant à découvrir rapidement des opportunités dans un marché géographique qu’il essaie de pénétrer et d’ajuster sa gamme de produits afin de capturer ces opportunités.
Bien que l’agilité en R et D et l’agilité transformationnelle soient conceptuellement distinctes, elles peuvent, dans certaines situations, être difficiles à distinguer l’une de l’autre. Par exemple, l’habileté d’une banque à commercialiser rapidement de nouveaux produits financiers (c.-à-d., agilité en R et D) est fortement liée à son habileté à modifier rapidement ses systèmes d’information et ses processus (c.-à-d., agilité transformationnelle).
Articles à venir
Cet article identifie et clarifie la nature des quatre dimensions de l’agilité d’affaires. Cette conceptualisation servira de base à une série d’articles à venir visant à aider les organisations à devenir plus agiles. Les prochains articles de la série identifieront, entre autres, les facteurs qui influencent le degré d’agilité d’une organisation et donneront des exemples démontrant comment ces facteurs peuvent être utilisés pour accroître l’agilité d’affaires.
Références
Bazigos, M., De Smet, A., Gagnon C. (2015) Why Agility Pays, McKinsey Quarterly, Nov.
Brown, S., and Bessant, J. (2003) The Manufacturing Strategy-Capabilities Links in Mass Customisation and Agile Manufacturing – An Exploratory Study. International Journal of Operations & Production Management, 23(7), 707-730.
Denning, S. (2011) Peggy Noonan on Steve Jobs and Why Big Companies Die. Forbes, Nov. 19.
Vázquez‐Bustelo, D., Avella, L., Fernández, E. (2007) Agility Drivers, Enablers and Outcomes: Empirical Test of an Integrated Agile Manufacturing Model. International Journal of Operations & Production Management, 27(12), 303-1332.
Worley, C.G., Williams, T. and Lawler, E.E. III (2014) The Agility Factor – Building Adaptable Organizations for Superior Performance. Jossey-Bass, San Francisco.
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